Deux lectures pour penser la création au féminin

par | mar, 04, 2021 | Actualités

Femmes d’art vous propose de (re)lire deux classiques inspirants pour penser la création au féminin : le célèbre “Un lieu à soi” de Virginia Woolf, lecture incontournable fortement plébiscitée en ces temps de confinements et l’étonnant “Journal de la création” écrit par Nancy Huston pendant les six derniers mois de sa grossesse.

Si c’est avant tout de la liberté d’écrire dont il est essentiellement question dans ces deux ouvrages, la totalité des enseignements que l’on peut en tirer porte sur la liberté de création artistique au sens large.

Entre essai et récit autobiographique, chacune, riche de son expérience personnelle, raconte comment parvenir à concilier ambition artistique et vie familiale domestique. Plus de 60 ans séparent les deux discours de ces autrices sur les obstacles socio-économiques qui ont conduit à minorer la place des femmes dans l’histoire de la création artistique. Au moment où Woolf publie son livre en 1929, il est gravé dans les esprits depuis des siècles que la création serait réservée aux hommes et la procréation aux femmes. Quand Nancy Huston se lance dans l’écriture de son journal, en 1990, les féministes ont déjà pris des positions fortes et d’autres stéréotypes sont apparus.

Une femme doit avoir de l’argent et un lieu à elle si elle veut écrire de la fiction.

Virginia Woolf

Prenant prétexte de répondre à la question “pourquoi Shakespeare ne pouvait être une femme ?”, Virginia Woolf rappelle comment la femme a été maintenue en position d’infériorité et enfermée dans son rôle de femme au foyer. Elle nourrit notamment sa réflexion de l’histoire de Jane Austen qu’elle admire pour avoir réussi ce tour de force d’être parvenue à concevoir des chefs-d’œuvre alors qu’elle était condamnée à écrire en cachette au milieu du salon familial. C’est au terme de cette analyse, qu’elle suggère que, pour être libre de créer, une femme doit posséder une pièce à elle qui ferme à clef pour ne pas être dérangée par son environnement familial et une rente de 500 livres pour être indépendante financièrement. Ensuite, il faudra, dit-elle, affronter les critiques masculines: « Parlons franc, le football et le sport sont choses “importantes” ; le culte de la mode, l’achat des vêtements sont choses “futiles”. Et il est inévitable que ces valeurs soient transposées de la vie dans la fiction. » Retraduit en 2016 par Marie Darrieussecq, cet ouvrage est un must-read pour toutes celles qui cherchent comment trouver à l’intérieur même de la sphère de l’intimité familiale, une autre sphère inviolable et secrète propice à l’éclosion de la création artistique, celle de l’intime de soi.

Ce que ne pouvait pas savoir Simone de Beauvoir, c’est que la maternité ne draine pas, toujours et seulement, les forces artistiques ; elle les confère aussi. »

Nancy Huston

Un lieu à soi, Virginia Woolf. Gallimard, 7,50 €

Journal de création, Nancy Huston. Actes Sud, 8,70 €

Nancy Huston combat avec ferveur cette idée reçue selon laquelle pour être artiste, une femme doit renoncer à la maternité. Elle ne craint pas de confesser la trivialité du quotidien. Loin de nier l’inextricable « dilemme de la romamancière », comme elle le nomme, elle fait tomber les murs dressés par les voix féministes l’ayant précédée qui, oppressées par le rôle réducteur qui leur était réservées, ont rejeté en bloc la maternité. “Une romancière peut avoir besoin, dans ses livres, d’être violente, ou lascive, ou folle, ou d’un pessimisme amer ; toutes de très mauvaises qualités chez une mère. Une mère, en tant que mère, doit être attentive à autrui, établir et entretenir des liens. Une romancière, en tant que romancière, doit être égoïste ; son art exige un certain détachement. Cela ne veut pas dire que des femmes qui écrivent des romans n’ont pas besoin d’autrui, ni que des femmes qui ont des enfants n’ont pas besoin de temps à elles. Il est évident qu’aucune mère n’est que mère, ni aucune romancière, que romancière. Mais peut-on être généreuse le week-end et égoïste en semaine, morale le jour et amorale la nuit ? » Elle pointe du doigt les progrès sociétaux qui ouvrent la voie pour sortir de cette impasse : « Inventer et ficeler des histoires, vivre et imaginer des aventures ; assumer et courir des risques ; bafouer et tourner en dérision les moralités orthodoxes : toutes ces spécialités traditionnellement masculines deviennent accessibles aux femmes, à mesure qu’elles insistent pour regarder en face la vie et la mort ; à mesure, aussi, que les pères apprennent à “materner” et que les mères n’ont plus à incarner, seules, l’éthique pour leurs enfants. »

Par Amélie Villedieu

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