Ce week-end se termine PhotoSaintGermain, le festival qui met à l’honneur des photographes contemporain.e.s sur la Rive Gauche de la capitale. L’occasion de découvrir le travail de FLORE, présenté à l’Académie des Beaux-Arts. Lauréate 2018 du Prix Marc Ladreit de Lacharrière, l’artiste s’est rendue au Vietnam et au Cambodge sur les traces de l’imaginaire littéraire et poétique de Marguerite Duras, intrinsèquement lié à sa propre histoire personnelle. Rencontre, en huit questions.

Portrait FLORE ©Adrian Claret
Femmes d’art. Bonjour FLORE, pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas, qui êtes-vous et quel est votre parcours ?
FLORE. Je suis une artiste photographe franco-espagnole qui vit et travaille à Paris. Aujourd’hui, je suis représentée par plusieurs galeries dans le monde, en particulier en France, par la galerie Clémentine de la Féronnière. J’enseigne également la photographie dans le cadre de FotoMasterclass que nous organisons avec Adrian Claret et Sylvie Hugues. Je suis photographe depuis 40 ans environ. Enfant précoce, j’ai commencé la photographie à 14 ans et très rapidement, j’ai gagné de l’argent avec. Je n’ai pas toujours été une artiste-photographe, j’ai commencé par des petits boulots de photographe jusqu’à devenir progressivement photographe de spectacle (danse et théâtre). En arrivant à Paris, je me suis spécialisée dans ce domaine durant une dizaine d’années, puis j’ai été portraitiste pour la presse lors de la décennie suivante. C’est vers le milieu des années 1990 que j’ai commencé à mener de front ma vie professionnelle avec mon travail artistique, auquel je me consacre exclusivement aujourd’hui. En 2020, nous avons été, avec Clémentine de la Féronnière, lauréates du prix Nadar Gens d’images, qui a récompensé notre livre L’odeur de la nuit était celle du jasmin – du même nom que mon exposition actuelle – et édité chez Maison CF.

L’odeur de la nuit était celle du jardin, ©FLORE | Maison CF | Prix Nadar Gens d’images 2020
Femmes d’art. De quoi parle votre exposition « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » ?
F. L’odeur de la nuit était celle du jasmin est un projet que j’ai réalisé dans le cadre du Prix Marc Ladreit de Lacharrière, en partenariat avec l’Académie des Beaux-Arts, autour de Marguerite Duras. Elle a beaucoup écrit sur le pays de son enfance, l’Indochine française, qu’elle a dû quitter à l’adolescence. Ce travail tente de montrer un ensemble de ce que pourraient être ses souvenirs et d’évoquer, en creux, le thème de l’exil. En effet, l’exil de sa terre d’enfance est, pour moi, un des éléments fondateurs de sa fiction littéraire, ses écrits n’étant ni une autobiographie ni un documentaire sur sa propre vie. En réalisant moi-même un travail de fiction, j’ai pu le faire dialoguer avec celui de Marguerite Duras. Un livre éponyme complète cette exposition. C’est une œuvre en soi, avec une narration créée autour des textes de Duras
Femmes d’art. En quoi cette exposition s’inscrit-elle dans la continuité du travail photographique que vous menez depuis plusieurs années ?
F. Comme le dit Héloïse Conesa, conservatrice en charge de la collection de photographie contemporaine à la BNF, mon travail est « une mise en œuvre d’une fiction de soi ». En effet, mon travail ne relève pas de l’autofiction, puisque je ne me mets jamais en scène dans mes photographies. Il se compose plutôt d’un ensemble de séries dans lesquelles je mets en scène ce qui pourrait être intime chez moi. Par exemple, mon premier livre, Une femme française en Orient (2014) est lié au fait que j’ai passé une partie de mon enfance à Alexandrie. Camp de Rivesaltes, lieu de souffrance (2018) fait écho à l’histoire de mes grands-parents maternels, réfugiés politiques espagnols arrivés en France dans des camps similaires. Maroc, un temps suspendu (2019) évoque un road-trip avec ma mère à la fin des années 1970. De la même manière, mes deux livres Lointains souvenirs (2016) et L’odeur de la nuit était celle du jasmin (2020) sont liés à l’histoire de mes grands-parents paternels qui vivaient dans le sud du Vietnam, l’Indochine française des années 1930, à la même période de Marguerite Duras et, quand j’étais petite, ma grand-mère me racontait beaucoup d’histoires sur sa vie là-bas. Mes images ne sont donc pas des souvenirs personnels mais donnent à voir des souvenirs mythifiés comme ceux de Marguerite Duras, où la réalité est celle du souvenir.
Femmes d’art. Par ce projet, avez-vous donc cherché à créer des souvenirs ou bien à les reconstituer ?
F. J’allais peu chez ma grand-mère paternelle, je n’y ai d’ailleurs jamais dormi ou passé un Noël, tout y était différent de ce à quoi j’étais habituée. Beaucoup des meubles étaient ceux qu’ils avaient en Indochine. Cette ambiance mystérieuse a accentué la mythification des histoires qu’elle me racontait. Plus tard, dans les années 1970, mon père a quitté ma mère et j’ai perdu en même temps cette partie de ma famille qui sera comme effacée de mon histoire, dans le sens où je ne vais plus la revoir. Par mes photographies, j’ai entamé un travail de reconstitution des souvenirs. C’est comme un mille-feuille de différents épisodes personnels. Avec l’âge, je me rends compte de ce pouvoir absolument extraordinaire qu’a la photographie : créer du vrai à la place du réel. C’est l’immortalité des souvenirs qui sont figés par la photographie, sans quoi ils s’estompent et disparaissent.

©FLORE, Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière

©FLORE, Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière
Femmes d’art. Lors de votre voyage, comment choisissiez-vous les scènes, les sujets que vous photographiez ? Dans quelle mesure étiez-vous guidée par l’univers de Marguerite Duras ?
F. Je ne fais rien « au fil de l’eau », ne voulant pas être sollicitée par la réalité extérieure, pour ne pas la ramener dans mon monde intérieur. Je ne voulais pas photographier le Vietnam ni le Cambodge actuels mais un postulat de l’Indochine durassienne. Mes photographies ne sont donc pas « FLORE en Indochine », mais une traversée d’un pays relevant de la fiction littéraire mêlée à mes propres histoires. Je me suis beaucoup documentée et je suis partie avec les livres de Duras annotés ainsi qu’avec des morceaux de textes appris par cœur et imprimés sur des petites bandes de papier découpé. Sur place, je marchais beaucoup, attendant que le monde extérieur entre en corrélation avec mon monde intérieur. Il y a, par exemple, la photographie de la jeune fille sur la balançoire. En “coulisses » de cette image, toutes les paillotes de la plage étaient en flammes parce que le gouvernement avait décidé de les détruire, mais sur l’image, on ne voit pas cette réalité, on ne se doute pas que derrière, c’est le chaos. Une complicité muette s’est instaurée quand je me suis approchée très doucement de la jeune fille, elle savait que j’étais là et elle a continué de se balancer jusqu’à que je m’en aille, c’était sa manière de me donner son accord.

©FLORE, Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière
Femmes d’art. Le flou et le vide sont deux élements qui reviennent dans vos photographies, toutes en noir et blanc. Que vous ont-ils permis de traduire ?
F. Le vide correspond à tout ce qu’il y a de non-dits et de silences dans les écrits de Marguerite Duras. Le noir et blanc et le flou permettent de distancer la réalité afin de créer une vérité parallèle. Cela permet aussi de déplacer la temporalité parce qu’il est compliqué de donner l’impression que les images représentent des faits qui se sont déroulés il y a cent ans si elles sont nettes et en couleur. J’essaie de brouiller ça, ce qui demande un grand travail d’analyse et de recherche plastique.
Femmes d’art. Quelles techniques photographiques avez-vous utilisées pour réaliser ce projet ?
F. J’ai utilisé un format 6x7cm, un Mamiya 7 II (N.D.L.R un appareil photo argentique moyen-format) avec un piqué assez doux afin que le résultat soit moins net. Il y a eu également beaucoup de travail de laboratoire et les tirages sont teintés au thé et cirés. Il y a aussi des héliogravures qui proviennent de l’Atelier Helio’g et des œuvres particulières marouflées sur feuille d’or réalisées par Adrian Claret. Je crois au pouvoir expressionniste du tirage qui doit véhiculer l’émotion qui a présidé la prise de vue. C’est très important pour moi, puisqu’à la différence des arts plastiques, la photographie nécessite d’utiliser une machine dont l’enjeu est de réussir à la « traverser » par sa pensée et ses émotions afin d’arriver au résultat final.

©FLORE, Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière
Femmes d’art. Pourquoi portez-vous un tel intérêt pour les procédés argentiques à une époque où nous vivons sous une avalanche d’innovations technologiques en photographie ? Qu’est-ce que l’ancien apporte à votre création ?
F. J’essaie d’avoir le panel le plus large possible de connaissances techniques. J’utilise des procédés historiques tels que l’argentique, le platine, le cyanotype mais aussi le numérique. Le croisement possible de toutes ces pratiques me permet de générer une écriture qui m’est propre. Je n’essaie jamais d’être « tendance », ce qui reviendrait à renier ma liberté d’artiste.
Informations pratiques :
• Exposition « L’odeur de la nuit était celle du jasmin », jusqu’au 31 janvier 2021.
Académie des Beaux-Arts, Pavillon Comtesse de Caen, 27 quai Conti, Paris 6e
Mardi au dimanche 11h à 17h, entrée libre
• Livre L’odeur de la nuit était celle du jasmin, photographies de FLORE, écrits de Marguerite Duras.
Publié par les éditions Maison CF – Clémentine de la Féronnière.
Impression bi-chromie et quadri-chromie Reliure à la japonaise
Format 17 x 31 x 2,5 cm – 146 pages 45€
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