Femme engagée, mais aussi écrivaine et icône féministe, Faith Ringgold reste une artiste à suivre, même après cinquante années de carrière. Portrait.
Difficile de passer à côté du travail de Faith Ringgold, qui s’étend sur plusieurs décennies déjà. En tant que femme afro-américaine, elle a dû se frayer un chemin dans le monde de l’art majoritairement blanc et masculin de la seconde moitié du XXe siècle, ce qui rend son parcours unique et impressionnant.
Une enfance en pleine Renaissance d’Harlem
Née en 1930, Faith Ringgold a grandi dans le quartier de Harlem, à New York, durant une période de renouveau pour la culture afro-américaine. Que ce soit en arts visuels, en littérature, ou encore en musique, ces années d’entre-deux guerres ont vu naître des talents issus de la communauté noire américaine, à présent plus libres de s’exprimer et de célébrer leur culture. Bien que cette communauté fut toujours à cette époque victime de lynchages et de nombreuses discriminations, les habitants du quartier d’Harlem ont su se battre pour mettre en avant une « Voix Noire », créant ainsi une scène artistique propre à leur expérience en tant que noir.e.s dans le contexte de ségrégation. C’est donc au sein de cette période pleine d’opportunités et aux côtés d’artistes comme Neil Armstrong ou Joséphine Baker que Faith Ringgold s’ouvre au monde de l’art.
Des débuts difficiles
Bien qu’une renaissance culturelle battait son plein dans le quartier d’Harlem, les musées et galeries du reste du pays demeuraient toujours réticentes à l’idée de soutenir non seulement une femme artiste mais encore plus une femme afro-américaine.
Depuis son enfance, Faith Ringgold ambitionne d’étudier les beaux-arts au City College de New York. Elle tente d’y entrer mais se retrouve rapidement confrontée à la réalité de l’époque : seuls les hommes sont autorisés à postuler pour ce programme. Elle se contente alors d’étudier l’enseignement des arts plastiques, qui constitue son unique accès au monde de l’art. Durant ses études, on lui répète que les femmes ne produisent pas d’art, mais qu’elles l’enseignent seulement. On lui demande de suivre les modèles des grands peintres européens et américains, qui sont une référence à cette époque. Mais Ringgold ne se laisse pas influencer : non seulement elle s’affirme en tant qu’artiste et non comme professeure, mais elle décide également de s’inspirer de l’art traditionnel africain.
Une pratique bien à elle : les « story quilts »
Dans les années 70, Faith Ringgold délaisse la technique traditionnelle de l’huile sur toile pour expérimenter la peinture sur tissu. Ses « story quilts » en anglais, témoignent de ses connaissances en art traditionnel africain, de ses racines familiales et de son propre vécu. En effet, son intérêt pour le travail sur tissu lui vient de sa mère qui était styliste, mais il constitue également un acte engagé. Traditionnellement, le travail sur tissu était considéré comme réservé aux femmes, et était particulièrement pratiqué par des femmes noires. Elle utilise donc cette pratique avec fierté, et raconte des histoires à travers ses oeuvres. Dans « Dancing at the Louvre », l’une des plus connues, elle associe un tissu à motifs traditionnels africains avec certaines des peintures mythiques du musée du Louvre, devant lesquelles des femmes et des jeunes filles noires dansent. Sur les bords du tissu, Faith Ringgold raconte leur histoire, comme dans un livre imagé.
Cette oeuvre, ainsi que onze autres, fait partie de sa série « The French Collection ». Chacune raconte une histoire illustrée. Ce lien avec la narration n’est pas anodin, puisque Ringgold a transformé plusieurs des histoires de ses oeuvres en livres pour enfants.
Faith Ringgold face à la politique Américaine
L’une de ses séries lui a valu l’attention des critiques d’art : « American People Serie », et plus spécifiquement son oeuvre « Die » qu’elle peint en 1967. Cette série de vingt oeuvres témoigne de son engagement dans la politique américaine. C’est en effet en réponse aux émeutes raciales de la fin des années 60 aux États-Unis que l’artiste décide de peindre « Die », la vingtième oeuvre de sa série.
Hommes, femmes, et enfants, blancs comme noirs sont pris dans un massacre sanglant. L’oeuvre a évidemment beaucoup choqué, mais c’était intentionnel : Ringgold a souhaité montrer la violence omniprésente aux États-Unis pendant le célèbre mouvement des droits civiques, sans dissimuler l’aspect meurtrier de ceux-ci qui n’étaient presque pas mentionnés dans les médias. Au milieu de la peinture, entre les cadavres ensanglantés, une jeune fille noire et un jeune garçon blanc se serrent l’un contre l’autre, terrorisés. Ils sont un symbole d’innocence, comme un rappel que le racisme et la haine ne sont pas innés.
Après plus de cinquante ans de carrière, l’engagement politique et social qui se reflète dans les oeuvres de Faith Ringgold est donc toujours d’actualité.